Danièle Vaudrey, journaliste émérite (agences, presse écrite, radios, télés…), spécialiste de l’Outremer, a posé ses sacs et micros dans les Côtes-d’Armor. Sans mettre fin à ses pérégrinations qui la conduisent sur les scènes et lieux de vie de ses personnages. "Marie Durand, l’insoumise" est son douzième ouvrage (éditions du Jasmin). Un docu-roman rédigé en partie dans l’ancienne demeure de son héroïne, en vue aussi de la tour de Constance, à Aigues-Mortes (Gard). C’est là que Marie Durand, dans une salle de 16 m de diamètre, avec nombre de codétenues, allait vivre 38 ans, de l’âge de 19 à 57 ans. Cette tour était devenue, en 1715, le cachot (et sépulcre) des Réformées. Des femmes, aussi des enfants, qui n’avaient que le choix d’abjurer la foi huguenote ou de croupir – très souvent mourir – en oubli.

Un genre littéraire difficile

Danièle Vaudrey a mis beaucoup d’elle-même dans cet ouvrage. Rémoise, née dans une famille protestante, elle fut certainement nourrie longtemps des récits du Désert (le surnom des contrées de résistance des pasteurs et de leurs ouailles), et ses émotions affleurent tout au long de son récit (180 pages augmentées d’annexes, de documents). Ce genre littéraire est difficile à mener. Un Jean Teulé (Le Montespan Héloise, ouille !), toujours truculent, y excelle, au prix de diverses élisions, voire simplifications extrêmes du déroulement historique. Là, le sujet ne se prête guère à romancer une existence confinée mais pourtant lourde de rebondissements, d’amitiés et d’inimités, de drames familiaux, et aussi d’évolutions du contexte extérieur. Danièle Vaudrey s’est aussi préservée de glisser vers le panégyrique de la geste réformée de l’époque. Elle n’escamote pas que la résistance des camisards fut parfois entachée de massacres, d’exactions, et que la « foi du charbonnier » protestant et combattant déviait parfois vers un mysticisme prophétique mêlant superstitions, apparitions, et même transes. Les dragonnades avaient exterminé, fait fuir à l’étranger, exécuté ou expédié aux galères la grande majorité des pasteurs instruits et formés : ils furent parfois remplacés par des hommes, mais aussi des femmes, aux inspirations quelque peu trop libres. Cet arrière-plan, tout comme celui du catholicisme, religion royale sous Louis XIV, puis la Régence et Louis XV, sanctionnant des mesures politiques, les conflits avec les pays voisins, est indissociable du cas d’exception que représentent Marie Durand et ses compagnes d’infortune. Certaines, très minoritaires, feindront la conversion, la plupart mettront leurs seuls espoirs dans un adoucissement du traitement des protestants, qui alternera avec des périodes de répression accrue, sans que jamais cela n’influe, avant 1768, sur leur sort. Soit trois longues années après le procès en réhabilitation de Jean Calas (†1762) que Voltaire et l’opinion changeante finirent par obtenir.

Une postérité « élargie »

Marie Durand est restée longtemps une héroïne confidentielle, que seuls les milieux protestants évoquaient. Parfois avec une discrétion liée tant aux convictions religieuses (le martyr et la sainteté se perçoivent bien autrement que dans le catholicisme) qu’au statut des femmes (avec les diaconesses, les protestants furent pourtant précurseurs ; les pasteures, surtout depuis 1960, sont plus de 400 en France). Sa postérité s’est donc élargie : elle incarne aussi la résistance non-violente, la force de conviction démocratique, la liberté de conscience pacifique. Danièle Vaudrey, avec une grande sensibilité et le féminisme qu’elle incarne par l’exemple (elle fut et reste une référence pour ses consœurs et confrères), magnifie avec une forte mesure cette dimension universelle. Le récit, émouvant, souvent poignant, ne s’autorise aucune facilité. C’est aussi tout un pan de l’histoire de la France (protestante et catholique) qu’il nous est offert de revisiter en saisissant mieux ses nœuds, ses fissures, sa complexité. La « pauvresse arrachée à l'enfance» accompagne durablement.